Pauvre Grèce, pauvre Europe

von Carla Ruta am 4. Oktober 2015

Auteur: Arnaud Thièry

La crise de la dette grecque agit comme un révélateur des lignes de fracture qui traversent le continent européen, et ceci tient essentiellement au caractère politique, plus que financier ou économique, de la crise. En d’autres termes, l’enjeu pour l’Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds Monétaire International (FMI) n’est pas de savoir comment rééquilibrer les comptes publics grecs ou relancer une économie grecque gangrenée par des années de clientélisme, mais d’imposer le respect de règles budgétaires strictes pour promouvoir un agenda politique libéral.

L’euro et Syriza

L’introduction de l’euro est dès l’origine un projet politique destiné à renforcer l’interdépendance des États européens qui ne sont plus maîtres de leur politique monétaire. Toutefois, les budgets restent majoritairement nationaux et les politiques sociales et fiscales n’ont pas été harmonisées. Dans ce contexte, la Grèce a pu emprunter à des taux favorables en tant que membre de la zone euro, alors qu’elle ne dispose manifestement pas d’un système fiscal, voire tout simplement des structures étatiques, permettant de collecter correctement des impôts, sans même parler d’assurer l’égalité fiscale. Syriza a d’ailleurs fait campagne sur la fin du clientélisme et d’un système politique et fiscal favorisant une petite minorité d’oligarques tout autant que sur sa capacité à résister aux pressions des créanciers liées aux prêts octroyés à la Grèce.

Des négociations politiques

Le référendum organisé le 5 juillet 2015 par Alexis Tsipras était un acte politique, dont le message a été bien compris en Grèce et sur tout le continent: le peuple grec accepte-t-il les politiques d’austérité imposées par les créanciers. Peut-être est-il bon de rappeler dans ce contexte que sur une dette estimée à environ 280 milliards d’euros au 22 juin 2015, seuls 48 milliards d’euros environs sont détenus par des investisseurs privés. Le solde est détenu par des créanciers publics, à savoir le FMI, la BCE et les États européens, soit directement, soit par le Mécanisme européen de stabilité. Autrement dit, la Grèce n’emprunte plus sur les marchés financiers et les conditions d’octroi des prêts font l’objet de négociations politiques. Poursuivre les politiques d’austérité est donc un choix d’orientation pour l’Union européenne.

Quelle Europe sociale?

Après des nuits de négociations, c’est finalement lors d’un sommet du Conseil européen des chefs d’États et de gouvernements de l’UE qu’Alexis Tsipras et son gouvernement ont accepté l’essentiel des conditions imposées par les créanciers à l’octroi d’un nouveau prêt de 86 milliards d’euros, qui serviront essentiellement au refinancement des banques grecques. La transposition en droit interne des conditions imposées par les créanciers a conduit à l’implosion du groupe parlementaire de Syriza et à la convocation d’élections législatives anticipées.

S’il serait bien téméraire de prédire le résultat des urnes, le film de ces derniers mois n’invite aucunement à l’optimisme. En acceptant les conditions imposées par les créanciers, qui avaient été rejetées quelques jours plus tôt par référendum, le gouvernement Tsipras a douché les espoirs que son élection avait suscités quelques mois plus tôt: l’espoir qu’un gouvernement de gauche (qui n’a rien de spécialement «radical», quels que soient les éléments de langage des médias européens) parvienne à obtenir une réduction de la dette et la fin d’un agenda politique libéral dicté depuis Bruxelles et Washington. Ce virage justement, l’UE et les chefs d’États européens ont tout fait pour qu’il ne se produise pas. Il s’agit sans doute de l’un des principaux enseignements de ces mois d’été qui auront gravement mis à mal l’idée d’une solidarité entre les peuples d’Europe, et même entre les partis de gauche au sein des différents États d’Europe.

Bien entendu, il ne s’agit pas de se demander si Alexis Tsipras a eu raison ou tort d’accepter les conditions des créanciers, ni de juger de sa stratégie ou d’apprécier les alternatives qui s’offraient à lui. La responsabilité dans le maintien d’une politique de réduction des déficits, d’affaiblissement de l’État et de démantèlement des droits des travailleurs est collective, et repose, malheureusement, en grande partie sur les épaules du SPD en Allemagne et du PS en France, tous deux aux affaires.

Des réformes structurelles

S’il semble assez probable que la question d’une sortie de la zone euro se reposera à plus ou moins long terme en Grèce, et peut-être dans d’autres pays européens, il est tout aussi clair que les responsables politiques européens feront leur possible pour éviter ce scénario qui sert encore surtout d’épouvantail. Vu la tournure des négociations de ces dernières semaines, on peut toutefois douter de la capacité des institutions de la zone euro de se réformer et de se démocratiser.

Née avec la révolution néolibérale des années 1980, l’architecture de la zone euro vise à soustraire les décisions les plus importantes à tout contrôle politique. Le pouvoir est concentré entre la gouvernance d’une banque centrale dite «indépendante» et des gouvernements qui ont mutualisé leur monnaie, mais n’harmonisent ni leurs budgets, ni leurs politiques sociales et fiscales, ni l’émission de leur dette. Dans ce contexte, la proposition, reprise récemment par François Hollande, d’instaurer un «Parlement de la zone euro» aurait l’avantage d’instaurer – un petit peu – de contrôle démocratique et de transparence sur des instances qui président, de fait, aux destinées d’un pays entier. Quant à un changement de cap politique vers une Europe sociale et solidaire, il s’agit d’un espoir que l’on cultive encore mais qui paraît décidemment bien éloigné en cette fin d’été 2015.

AT

 

Version remaniée et complétée d’un article à paraître dans Pages de gauche n° 147, septembre 2015. D’autres articles sur le sujet seront disponibles dans ce même numéro (www.pagesdegauche.ch).

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