Unfriendly Takeover – les héros de la classe ouvrière sont morts

von Redaktion am 5. Mai 2021

De Christof Berger

«There’s class warfare, all right, but it’s my class, the rich class, that’s making war, and we’re winning.» («Il y a bel et bien une lutte des classes, mais c’est ma classe, la classe riche, qui fait la guerre, et nous gagnons.») – Warren Buffett, milliardaire américain, dans une interview avec Ben Stein dans le New York Times, 26 novembre 2006.

La constatation voulue très critique du gros investisseur et entrepreneur américain Warren Buffets reflète sans aucun doute la situation politique actuelle et a probablement toujours été vraie, mais avec une intensité différente. De tout temps, la prospérité et la puissance sont allées de pair. Mais il y a aussi une période pendant laquelle les travailleurs ont nourri l’espoir légitime de combattre eux-mêmes la lutte des classes dans les institutions politiques. Cela remonte toutefois à belle lurette. Au cours des trois dernières décennies, sous prétexte d’augmenter l’efficience, des hiérarchies d’éducation presque imperméables se sont établies parmi la Gauche. Celle-ci exclut ainsi progressivement la «population active» d’une participation politique active et sérieuse.

Domination des universitaires

Plus que 18 «employé-e-s» siègent au Conseil national suisse depuis 2019. Ce sont moins de 10%, et ils sont bien entendu «engagés» dans des postes de direction. La population dite «active» est représentée presque exclusivement par une seule branche, à savoir l’agriculture (15 mandats), qui est surreprésentée par rapport au nombre d’habitants. Les professions d’importance systémique, telles que le personnel de vente, les soignant-e-s, les employé-e- s de la logistique, les professionnel-le-s du bâtiment ainsi que les indépendant-e-s et les petits entrepreneurs, soit environ 60% de la population active, sont quant à eux pratiquement inexistants au Parlement. Le syndicaliste Corrado Pardini, qui avait suivi un apprentissage de mécanicien-ajusteur avant ses études, n’a pas été réélu en 2019. Au PS et chez les Verts, la part des universitaires est supérieure à 80%. Seuls les Libéraux-Radicaux et les Vert’libéraux ont encore plus d’universitaires, soit 85%. Un tiers des membres du Conseil national sont des politiciens professionnels. Le Parlement de milice risque de faire son entrée dans l’histoire. Car il arrive de plus en plus souvent que des politologues accèdent à des postes de parti pour le compte du PS et des Verts ou qu’ils deviennent cadres d’associations apparentées (club de transport, association de locataires, SEC, syndicats, etc.) immédiatement après l’obtention de leur diplôme universitaire.

Ces organismes associés sont un tremplin important pour une carrière politique. Faute d’un mandat de premier plan dans une de ces organisations et du soutien corrélé, les possibilités sont rares de décrocher un siège au Parlement national. Et les associations n’emploient pratiquement que du personnel au bénéfice d’un diplôme d’études supérieures, ce qui signifie que le serpent va encore se mordre la queue.

Jargon du travail social

A mes yeux, la Gauche ne doit et ne peut pas se passer de son élite intellectuelle et de ses universitaires. De manière générale, je souhaite que mon texte soit compris comme une critique constructive. Je suis d’avis que la Gauche a une responsabilité face au mouvement et à son histoire. Et pour que ce soit clair: loin de moi l’idée de taxer d’irresponsable la majorité du personnel du parti et de l’association. Cependant, il n’est pas injustifié de leur reprocher d’observer le monde du haut de leur tour d’ivoire. Le jargon du travail social s’est glissé dans le discours de la gauche, ce que je trouve fatal: même s’ils se donnent de la peine, les travailleurs sociaux ne parlent jamais à leurs «clients» sur un pied d’égalité, il existe un fossé social. Ce qui se veut bien intentionné a souvent un effet opposé. Et je ne mettrais pas ma main au feu qu’une partie de nos «élites» ressentent du mépris pour le mauvais goût et le langage vulgaire des travailleurs. Et cèdent ainsi à un cliché. Cela peut être perçu comme très présomptueux et offensant. Je soupçonne toutefois fortement que c’est précisément aussi pour cette raison qu’un nombre considérable de membres de la classe ouvrière, de salarié-e-s et d’indépendant-e-s ont changé de camp politique au cours des trente dernières années.

La démocratie ne fonctionne que sur un pied d’égalité

Je suis bien conscient du fait que les «élites» ont toujours joué et jouent encore un rôle prépondérant dans les conflits du travail, les coups d’Etat et les révolutions à travers le monde. Presque toujours, les inspirateurs d’idées, les instigateurs et les meneurs venaient de l’élite éduquée, souvent de la classe bourgeoise. Mais sans le soutien du «prolétariat», leurs idées seraient restées lettre morte. Et pour obtenir ce soutien, il a fallu à l’époque, et il faut encore aujourd’hui une démocratie de base vécue intensément, sur un pied d’égalité. Il est donc impératif que le point de vue de la gauche englobe aussi le collectif et pas seulement les «grands» hommes (et quelques «grandes» femmes).

Les partis de gauche se fondent sur le mouvement syndical

Historiquement, le PS est effectivement un parti travailliste. Il a émergé à la fin du XIXe siècle comme le bras politique du mouvement ouvrier. Jusque dans les années 1920, les syndicats et le parti étaient également liés sur le plan organisationnel. Les acquis sociaux de la gauche au XXe siècle reposent sur les revendications du mouvement ouvrier. Les plus importantes d’entre elles sont contenues dans le catalogue de revendications qui ont été mises en avant lors de la grève générale de 1918. A savoir:

  • Renouvellement immédiat du Conseil national à la proportionnelle, adopté peu avant
  • Introduction du suffrage féminin
  • Introduction du devoir de travailler pour tous
  • Introduction de la semaine de 48 heures
  • Réorganisation de l’armée en une armée populaire
  • Mesures assurant le ravitaillement
  • Assurance vieillesse et invalidité
  • Monopole de l’Etat sur le commerce extérieur
  • Impôt sur la fortune pour payer la dette publique

En 1918, la semaine de 48 heures est mise en place en Suisse. En 1919, les premières élections se déroulent au Conseil national selon le système proportionnel, et c’est également cette année-là que les premiers jalons de l’AVS sont posés. Toutefois, sa mise en œuvre a pris beaucoup plus de temps. L’AVS n’a été introduite qu’en 1948 et le droit de vote des femmes encore plus tard, en 1971. Entre-temps, un grand nombre de féministes semblent avoir oublié que leur histoire repose également sur les luttes du mouvement prolétaire des femmes.

Il semble ignorant, négligent et cynique de trahir ces fondements du mouvement en affirmant que l’électorat de gauche serait désormais constitué de la classe moyenne supérieure et des propriétaires. Et que les couches inférieures ne participeraient pratiquement pas à la vie politique. La Gauche deviendrait ainsi un parti radical plus social et sombrerait dans l’insignifiance.

Haute conjoncture de l’après-guerre et guerre froide

Avec le recul, pour l’expliquer grossièrement, c’est une idéologie du «fordisme» ou de «l’économie sociale de marché» qui a caractérisé la période entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1980 dans les pays industrialisés occidentaux. Le terme «fordisme» fait référence au constructeur automobile Henry Ford, qui produisait des voitures pour tout un chacun et payait à ses ouvriers des salaires suffisamment élevés pour qu’ils puissent s’offrir eux-mêmes ces voitures et stimuler ainsi les ventes. L’économie sociale de marché tente d’atténuer les dérives de l’économie de marché libre en la combinant avec les correctifs de l’Etat social, tels qu’une assurance chômage ou une rente étatique.

Les salaires ont augmenté suffisamment pour que les actifs puissent accéder aux produits de leur travail, tout en économisant un peu d’argent. Il en a résulté une demande, qui a permis de faire tourner l’économie. Les entrepreneurs et les actionnaires, qui ne gagnaient pas si mal, partageaient alors les gains de productivité avec la main-d’œuvre de manière plus ou moins équilibrée seulement parce qu’ils redoutaient le système communiste. Les idéaux d’une société sans classes et de la répartition – en fonction des besoins – des bénéfices engrangés par les entreprises nationalisées ont également trouvé des adeptes en Occident. Dans le même temps, les syndicats et les partis de gauche nés vers la fin du XIXe siècle, auquel appartenait notamment le parti social-démocrate, ont fait passer de nombreuses revendications sociales (p. ex., le suffrage féminin, l’AVS, la semaine de 42 heures). Elles ont apporté quelque chose, même si la révolution tant espérée par certains ne s’est pas réalisée. La guerre froide (le conflit latent permanent entre les puissances occidentales capitalistes sous l’égide des États-Unis et le bloc de l’Est, aussi appelé bloc communiste, conduit par l’Union soviétique) a permis aux travailleuses et travailleurs ainsi qu’à la classe moyenne occidentale de vivre de manière assez confortable. Chez les sociaux-démocrates, un fonctionnaire de gare aux CFF pouvait devenir président de parti et un monteur en chauffage conseiller fédéral.

Chute du mur et tournant néolibéral

Par la suite, les systèmes communistes du bloc de l’Est ont commencé à s’éroder. La guerre froide a perdu de son horreur. Il n’est donc pas étonnant que ce soit précisément à cette époque qu’une idée économique des années 1930 ait pris un nouvel envol: le néo-libéralisme

ou le libéralisme économique. Cette idéologie préconise que toute pensée et action économique s’autorégulent et qu’il ne devrait donc y avoir aucune restriction ou réglementation légale pour l’économie. Il s’agissait et il s’agit donc pour l’essentiel de protéger le capital de toute emprise démocratique. Sous l’influence de cette façon de penser, on a créé des conditions-cadres institutionnelles fixes, valables dans le monde entier. Elles interdisent systématiquement à la classe politique de toute couleur de procéder à une redistribution au détriment du capital. En outre, à la suite de la mondialisation, nombre d’entreprises ont délocalisé des emplois vers des pays à bas salaires. Il en a résulté une concurrence ruineuse entre les Etats-nations pour obtenir des avantages fiscaux afin de se fidéliser les entreprises.

Le virage néo-libéral n’a pas épargné les partis sociaux-démocrates. En Allemagne et en Angleterre, des politiciens connus auparavant uniquement du bloc bourgeois prennent les commandes avec Gerhard Schröder et Tony Blair. En Suisse aussi, les luttes intestines se multiplient au sein du parti, mais, en termes de politique démocratique à long terme, le phénomène de la «professionnalisation» devrait se révéler être un problème principal.

Perte d’importance de la base

Jusqu’aux années 1980, les partis, les syndicats et les associations de gauche étaient constitués de sections ou des groupes locaux relativement forts. Ils influençaient et participaient fortement à la politique de ces organismes. Les secrétariats régionaux et nationaux ont soutenu ces groupes locaux ou ces sections. Et, bien sûr, les secrétaires employés ont marqué de leur empreinte la politique. A partir des années 1990, face aux revers et à l’érosion des membres, les sections ont perdu de leur importance et les secrétariats ont été développés. En conséquence, la fixation des thèmes politiques s’est progressivement déplacée vers les secrétariats.

Cette situation est problématique à plusieurs égards. Si l’on assimile les membres d’un parti, ladite «base du parti» (par exemple, la base d’un syndicat) au législatif et les secrétariats à l’exécutif, on obtient le même effet que pour les mesures d’urgence prises par le Conseil fédéral pendant la pandémie: l’exécutif décide plus ou moins de son propre chef de la mise en œuvre de mesures d’envergure.

Au XXe siècle, il était en outre encore courant de recruter les cadres des partis (ou des syndicats) parmi la base. Les membres particulièrement actifs des comités de section avaient ainsi des chances de faire carrière dans le parti ou dans les organisations associées. Cela aussi a fondamentalement changé depuis que seuls les critères de formation comptent pour occuper des postes affectés au secrétariat: sans diplôme universitaire, il n’est pratiquement plus possible d’y accéder. Les compétences acquises sur le tas n’ont pratiquement plus de valeur. Seules les personnes qui possèdent des diplômes ont donc une chance. Ainsi, les travailleuses et travailleurs se voient peu à peu exclus, par l’ancien parti ouvrier et les syndicats, de la participation politique sérieuse et surtout des emplois et mandats rémunérés. Il en va de même pour les Verts, aussi actifs à gauche de l’échiquier politique depuis les années 1970.

Dans l’économie réelle, les choses ne sont guère différentes. Mais peut-on vraiment reporter exactement sur la politique les réalités concurrentielles de l’économie de marché? La Gauche ne préconise-t-elle pas une redistribution du haut vers le bas et des salaires équitables? Cet idéal ne devrait-il pas valoir également pour la codétermination et la participation politique? Je n’entends pas seulement la codécision dans les entreprises. Car il y a une différence fondamentale dans l’estime de soi si l’on se donne les moyens d’agir ou si l’on se fait représenté par un-e avocat-e.

Politique pour les autres

Le changement de paradigme s’est fait progressivement. Il est presque passé inaperçu pour la majorité, d’autant que les membres des organisations de jeunesse de la plupart des partis n’ont cessés d’être recrutés dans les universités. La proportion d’universitaires au sein des partis politiques est donc restée relativement élevée. Néanmoins, jusqu’à la fin du XXe siècle, les travailleurs ont été plus ou moins intégrés dans la Gauche. On faisait de la politique pour soi-même et ses semblables. Aujourd’hui, la politique est faite pour les «autres» – pour les travailleuses et travailleurs, pour les personnes touchées par la pauvreté, pour les migrant- e-s et les réfugié-e-s.

En 1995 déjà, un nouveau style est apparu au PS avec l’arrivée au Conseil fédéral de l’avocat Moritz Leuenberger. Il se positionne immédiatement comme un esthète, un esprit cultivé qui fait comprendre de tout son être qu’il n’a jamais gardé des cochons avec les gens ordinaires. Peu après son élection, alors qu’il est confronté aux préoccupations des délégué-e-s présents à un congrès syndical, il répond offensé: «Notez que je ne suis plus «votre cher camarade dans ma fonction de conseiller fédéral».

Aujourd’hui quand des conseillères et conseillers nationaux manifestent soudain en public leur sympathie pour les travailleurs, on se sent un peu mal à l’aise. C’est comme quand un conseiller financier s’enthousiasme pour la vie des paysans de montagne – belle, libre et frugale. Ou lorsque l’image du travailleur est portée aux nues – tous partis confondus – pour enjoliver le cliché. «Chaque jour, on bosse du lever au coucher, notre parfum pue la sueur et le purin, et la vie n’est belle que chez nous», entend-on entre-temps jodler d’innombrables rockers alpins d’extrême droite et enfants de travailleurs de tous les haut-parleurs. Même les syndicats s’y mettent en brossant un tableau à peine plus différencié dans leurs publications: les employé-e-s y sont présentés uniquement dans leurs vêtements de travail, les ouvriers du bâtiment avec des casques et des gilets fluorescents, les infirmières en blouse médicales, les postiers en uniforme postal et les vendeuses dans le commerce de détail en tablier d’entreprise. La plupart du temps, il ne s’agit pas d’individus, mais plutôt d’un collectif formé de «soldats ouvriers» instrumentalisés, à qui on accorde, au mieux, un passe-temps plus ou moins intéressant. Or le monde du travail a évolué des boulots industriels à des emplois de service. Et une grande partie des actifs travaillent en indépendants, souvent à leur propre compte et sans employé-e-s.

Percée dans la formation des travailleuses et travailleurs

Il y a cent ans, la Gauche croyait encore en des travailleuses et travailleurs responsables. En 1922, l’Union syndicale suisse et le PS fondent la Centrale suisse d’éducation ouvrière, avant tout pour encourager la relève syndicale, mais aussi pour préparer les responsables des comités de section et les secrétaires à leurs tâches et pour obtenir des compétences en droit du travail et en politique. L’institut de formation des syndicats existe toujours. Depuis 2001, il s’appelle Movendo. Aujourd’hui, on distingue toutefois de manière beaucoup plus stricte qu’il y a vingt ans entre les cours destinés aux «membres» et ceux destinés aux «employé-e-s». Les secrétaires syndicales et syndicaux peuvent désormais suivre un cursus de formation pour l’obtention du brevet fédéral de secrétaire syndical-e. Le brevet fédéral n’existait pas encore en 1997/98, lorsque l’auteur de ce texte, alors vice-président d’une section syndicale locale, a suivi le cursus de l’Ecole syndicale suisse. L’engagement des «membres» pourrait néanmoins tôt ou tard s’essouffler s’ils réalisent que seul le travail de titan bénévole et gratuit leur est réservé.

Entre-temps, la classe politique s’enthousiasme pour le modèle de formation professionnelle duale, espère que l’égalité des chances s’améliorera et promet plus d’éducation comme solution à presque tous les problèmes (ce qui est peu risqué, puisque le succès ou l’échec de la mesure ne pourra être mesuré que dans 15 à 20 ans). En même temps, c’est une façon détournée de dire: si vous, les salarié-e-s, voulez participer aux décisions et apporter votre contribution à une once de prospérité, il vous suffit de reprendre des études. Ou d’envoyer au moins vos enfants à l’université pour qu’ils s’en sortent mieux plus tard. Ces conseils convaincront-ils les coiffeuses, les mécaniciens en automobiles, les accompagnatrices de train et les agent-e-s des centres d’appel? La Gauche s’engage, depuis la nuit des temps, pour la démocratie économique, donc pour que la codécision au travail l’emporte sur le capital. Il lui reste toutefois à se poser la question de savoir si ses propres idéaux sont vécus sous une forme adéquate au sein de ses organisations.

Qu’est-ce qui définit un mouvement politique?

Je ne sais pas dans quelle mesure la Gauche est aujourd’hui encore consciente de l’histoire. En tout cas, j’ai souvent l’impression que les politiciens professionnels formés dans les universités ne lui accordent aucun rôle. Seules les affaires courantes comptent pour eux. Or la Gauche doit se demander si ses cercles politiques et ses comités d’initiative, forts chacun d’une petite douzaine de membres, sont vraiment suffisants. Elle doit se demander comment restaurer la collectivité et l’action politique dans notre monde individualisé et fragmenté. Elle doit également aborder son histoire de manière critique, ne pas enjoliver les évolutions négatives, mais en tirer des enseignements pour l’avenir.

Et cela m’amène à la question suivante: qu’est-ce qui définit un mouvement politique ou un parti politique? «L’émulation de trouver les meilleurs arguments ou les meilleures idées», répondront certainement beaucoup. Ce n’est pas faux. Mais on ne mobilise aucun mouvement de cette façon. C’est le concours d’idées qui convient au mieux à l’orientation du processus démocratique. Pour un mouvement, en revanche, il faut beaucoup plus. Il doit savoir où il veut aller, il doit développer une utopie crédible qui semble souhaitable et réalisable. Il doit être religion, famille et patrie. Il doit montrer des perspectives, stimuler les gens, leur permettre de se réaliser. Ce n’est que de cette manière que ce mouvement est fondé sur le principe de la démocratie, qu’il est crédible.

Les syndicats vont-ils se transformer en assurances?

Il serait intéressant d’observer le développement des syndicats dans les années à venir. De nombreux secrétaires syndicaux-ales, qui avaient été recrutés dans les domaines professionnels et les entreprises, ont trouvé des tâches dans les secrétariats régionaux pendant un certain temps. Cependant, un grand nombre de ces postes ont été victimes de mesures de rationalisation au cours des deux dernières décennies. Pour certains des titulaires d’emplois concernés, cela a signifié une descente vers la précarité. Comment un secrétaire syndicaliste de plus de 50 ans peut-il trouver un emploi sur le marché du travail général? Très peu d’entre eux ont réussi à gravir les échelons de la direction. Or cette génération prendra sa retraite ces prochaines années. Les organisations de travailleurs vont- elles alors se transformer en une sorte d’assurance ? Et n’y aura-t-il du soutien plus que pour les groupes professionnels qui sont faciles à organiser et pour lesquels des conventions collectives de travail peuvent être conclues avec quelques grandes entreprises ? Qu’en est- il des auxiliaires agricoles venus de l’étranger, engagés pour les récoltes? Et des indépendant-e-s?

La lutte des classes doit rester au centre

Ces dernières années, l’électorat des partis de gauche s’est de plus en plus déplacé de la «classe ouvrière» vers les couches urbaines de centre gauche. Cette évolution ne résulte pas uniquement de la désindustrialisation, mais s’explique aussi du fait que le parti représente ses milieux avec de plus en plus d’avocats. La question de la lutte des classes, cependant, est et reste la question centrale de la politique de gauche. Non seulement le PS, mais aussi les Verts sont aujourd’hui bien représentés dans les syndicats. «Le rapport entre pauvres et riches est le seul élément révolutionnaire dans le monde», déclarait déjà en 1835 le poète et révolutionnaire Georg Büchner. La Gauche ne pourra donc pas se permettre de remplacer sans contrepartie sa position claire sur la question de la répartition entre riches et pauvres, entre travail et capital, et entre formation universitaire ou non universitaire par d’autres thèmes tout aussi importants comme la question du climat ou l’égalité des sexes. Ces thèmes sont liés à la lutte des classes. Retrouver une politique des travailleurs crédible n’est pas une tâche facile. Il convient de s’y atteler dès à présent.

Christof Berger, né en 1959, habite à Hinterkappelen. Il est coprésident du GI Indépendant-e-s de syndicom et membre du comité central de syndicom ainsi que membre du comité de SPplus Wohlen BE. Il a siégé de 2002 à 2008 au Grand Conseil bernois pour le PS.

Il admet qu’il n’est lui-même pas issu de la classe ouvrière. Son père était un graphiste peu doué en affaires, sa mère était couturière, et les revenus de la famille étaient bas. Ses parents se sentaient appartenir au milieu artistique et culturel et méprisaient les travailleurs qu’ils considéraient comme «frustes». Ses racines sont donc ancrées dans le précariat bohémien. Il a toutefois travaillé pendant une dizaine d’années dans le service de manœuvre de la gare de Berne et y a rencontré des gens chaleureux et portés par leurs intérêts propres. Il s’est politisé au cours du mouvement des années 80 et par le biais du travail syndical.

www.christof-berger.ch

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